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Communiquer avec des personnes âgées de type Alzheimer : Naomi Feil - Didier Barbieux

Tout le monde vieillit,... voilà une évidence irréfutable. Les démographes le constatent, la croissance démographique a fait que la population atteint aujourd’hui 6 milliards d’habitants mais saviez-vous que cette croissance est surtout liée à l’allongement de la durée de vie plutôt qu’à la croissance du taux de natalité. Selon certains, l’espérance moyenne de vie d’un Mexicain au début du siècle était de 27 ans, aujourd’hui elle se rapproche des 80 ans soit 3 x plus en moins d’un siècle. Lorsque l’on parle de longévité, on se réjouit en pensant à toutes les possibilités que cela offre à chacun qui puisse enfin jouir pleinement de son temps libre. Pléthore de services s’adressent actuellement aux plus de 60 ans (clubs en tout genre, agences de voyages, mode, etc...) et personne ne s’en plaindra à condition de pouvoir en profiter. En effet, beaucoup de personnes vieillissent en perdant progressivement leur autonomie psychique. Cela commence par des pertes de mémoire (oublier d’éteindre la cuisinière au gaz, ne plus se souvenir de ce que l’on vient de faire, etc. ) qui peuvent évoluer vers des symptômes plus graves tels que ne plus reconnaître les personnes proches, développer des comportements agressifs, incohérents ou de repli. Malgré les progrès de la science, ce processus reste irréversible et incontrôlable jusqu’aujourd’hui. Il est lourd de conséquences autant pour la personne elle-même, que pour son entourage et la communauté. On estime qu’à 65 ans, une personne sur 10 est concernée (par la perte d’autonomie psychique) et qu’à partir de 80 ans, il s’agit de 3 personnes sur 10.


Que faire concrètement par rapport à cela ?


Comment aborder le comportement incohérent, voire absurde de la personne désorientée ?


Comment l’accompagner pour l’apaiser et l’aider à garder un minimum de dignité ?


Tant de questions que s’est posée l’Américaine Naomi Feil qui a mis au point, voilà plus de 30 ans, la Validation Therapy, technique de communication très simple qui permet d’accompagner les personnes très très âgées désorientées.


Mais qui est Naomi Feil ?


Naomi Feil a grandi au sein de la maison de repos que dirigeait son père à Cleveland (OHIO-USA). Très jeune, elle côtoya des personnes très âgées. Elle compris très vite à quel point le personnel soignant était démuni face au comportement confus voire agressif et incohérent des résidents désorientés. Naomi ne croyait pas que ces comportements étaient de la folie. Selon elle, une logique soutendait le comportement désarmant de ces personnes. Elle décida d’en découvrir les clés. Dès qu’elle eut obtenu sa maîtrise en en Travail Social elle revient à Cleveland où elle poursuit ses recherches tout en se formant aux théories de la communication et de la psychologie. Elle mettra 17 ans pour mettre au point la Validation Thérapy qui verra le jour en 1980. Les résultats sont édifiants. Elle ne "guérit" pas les personnes désorientées mais elle réussit à créer un dialogue qui tient compte de l’incohérence de l’autre. Immédiatement, la personne s’apaise et commence à lui raconter des évènements douloureux de son passé.

Sur quoi repose la Validation ?


La Validation thérapy considère que tout comportement est issu d’une base logique. En écoutant le résident d’une façon spécifique, on peut découvrir comment la personne désorientée voit la réalité. Dès lors, la personne se sent comprise, soulagée et donc apaisée. En 1972, une étude conduite par le Validation Training Insitute a montré qu’après 6 mois de Validation en groupe, les résidents avaient moins recours aux cris, aux déambulations, aux battements de pieds, etc. "pour se faire comprendre".

On pourrait dire que la Validation est une approche qui reconnaît avant tout le vécu émotionnel de la personne. C’est une approche "composite" issue de différentes théories dont principalement celle d’Erik Erickson. Danois d’origine, le docteur Erickson a fait état de six phases de la vie auxquelles correspondent des tâches spécifiques que nous devons accomplir pour se réaliser pleinement. Lorsque ce n’est pas le cas des "dérives" psychologiques peuvent apparaître et c’est de là que Madame Feil partira pour expliquer le comportement des personnes démentes. En bref, la phase 1 correspond à l’état de nourrisson ou le bébé apprend à faire confiance - cette phase non résolue crée la méfiance. La phase 2 est l’enfance, où la tâche à réaliser est l’autonomie, l’apprentissage des règles, l’accomplissement de prestations - le non-résolution débouche sur la culpabilité. La phase 3 est l’adolescence : recherche de l’identité, la révolte et la distance vis-à-vis des adultes - non résolue, cette phase débouche sur l’insécurité, la confusion dans les rôles, l’impossibilité de s’opposer aux autres. La phase 4 : l’âge adulte : l’individu est amené à se responsabiliser de sa vie, à partager ses sentiments et son intimité, qui apprend à vivre ses succès et gérer ses échecs sans "s’écrouler" - ne pas réaliser cette tâche aboutit à l’isolement et la dépendance. La phase 5 est une période intermédiaire où la personne prend de nouveaux rôles, réalise de nouveaux objectifs - de cette tâche non réalisée découlent la stagnation et la rigidité. Enfin, la phase 6 : la vieillesse est la phase d’intégration du passé dans le présent, l’acquisition de l’intégrité et de la force intérieure - la non-réalisation de cela amène sur la dépression, et, ajoute Naomi Feil :la démence ou la végétation. Selon Naomi, le comportement apparemment démentiel des personnes âgées désorientées n’est autre que la partie visible des conflits qu’elles n’ont pas résolus dans leur passé. En s’associant avec empathie aux émotions de la personne, on peut remonter dans son passé et revivre avec elle les tâches inachevées pour les résoudre. Cette démarche diminue le stress et restaure les rôles sociaux - la notion de valeur et de dignité personnelles... Pratiquer la Validation therapy demande une grande faculté d’empathie. Confronter la personne à la réalité - par exemple vouloir convaincre la personne du décès de son conjoint alors qu’elle n’arrête pas de le réclamer - ne sert strictement à rien si ce n’est qu’augmenter son niveau d’anxiété. Au contraire, rendre le cher disparu présent par des souvenirs agréables permet de calmer la personne et d’ouvrir une voie pour peut-être résoudre un conflit intérieur non abouti. Naomi Feil fait état de 4 stades dans la désorientation. On peut les déterminer en observant les caractéristiques physiques de la personne, en retraçant son histoire sociale et médicale et en parlant avec les membres de la famille.


Le Stade 1 : La mal orientation


Le patient mal orienté a la notion du temps, de l’endroit et de la personne présente, mais semble avoir perdu la joie de vivre. Lorsque les choses vont mal, elle blâme les autres. On peut observer les caractéristiques physiques suivantes : les paupières très rapprochées, les muscles faciaux tendus ; les lèvres pincées ; la mâchoire saillante ; une respiration peu profonde ; les bras croisés ; des mouvements directs ; un langage clair avec une voix sévère ou plaintive. Il arrive souvent que la personne reste agrippée à son porte-monnaie, sa canne, ou son manteau comme si elle voulait garder le contrôle. On remarque aussi d’autres comportements tels que : créer des causeries intimes ; prétendre ou dénier les pertes de mémoire récentes et occasionnelles ; répugner à partager des émotions ; ne pas vouloir être touché physiquement, se sentir menacé par les autres ; et projeter des peurs sur les autres. Quelques exemples : Lorsque la vue fait défaut, la personne mal orientée reproche au personnel d’entretien d’avoir placé des ampoules électriques défaillantes. Lorsqu’elle se trompe d’endroit quand elle range ses vêtements, elle accuse les femmes d’ouvrage de les lui avoir volés.

La personne qui "Valide" ne met pas en doute la véracité de ces allégations. Elle sait que la personne âgée a besoin de donner libre cours à la colère, aux griefs, à la culpabilité et la douleur qu’elle a emmagasinés tout au long de sa vie. Lorsqu’elles sont entendues, les personnes mal orientées se sentent généralement mieux, leur fardeau est plus léger. Lorsqu’elles sont ignorées, leur comportement risque de se détériorer. A ce stade-ci, les méthodes proposées par Madame Feil sont les suivantes : Avant toute chose : reconnaître l’émotion de la personne. Puis, utiliser des phrases non menaçantes commençant par : Qui ? Quoi ? Où, Quand ? Comment ? Par exemple, si le résident dit : "Ils ont pris mes sous-vêtements", on pourrait répondre : "Qui les a pris ?" "Quand les a-t-on pris".

Eviter d’employer des mots qui évoquent des sentiments ou qui analysent. Eviter de demander "Pourquoi" car cela stimule une réponse intellectuelle. Eviter les confrontations. Répéter ou paraphraser les mots de la personne mal orientée. Aider la personne à exprimer des émotions en demandant les extrêmes : "Quand était-ce le pire ?" "A quel point était-ce grave ?" "Quand est-ce que c’était le mieux ?" "Combien de fois cela est-il arrivé ?"

Aider la personne mal-orientée à revoir le passé en demandant : "Etait-ce toujours comme cela ? A quoi cela ressemblait-il lorsque vous étiez à la maison ? Quand votre mari vivait encore ?".

Imaginer l’opposé : Cette technique vise à aider la personne mal orientée à traverser les moments difficiles de sa vie. Par exemple, si la personne mal orientée dit : "Il y a un homme sous mon lit", demander : "Y a-t-il d’autres moments où cet homme n’est pas présent sous votre lit ? Quand ?" La personne mal orientée pourrait répondre : "Quand mes amis me rendent visite, l’homme ne vient pas sous mon lit".


Le stade 2 : La confusion dans le temps


Chez la personne confuse dans le temps, les détériorations physiques sont plus accentuées sur les plans de la vue, de l’audition, de la mobilité, de la mémoire récente, de la notion du temps horloge, et dans la pensée logique, métaphorique et analytique. On remarque un regard défocalisé ; les muscles relâchés ; une démarche parfois vacillante, errante ; des paroles obscures ou mal articulées. La personne est souvent incontinente. Par ailleurs, elle contrôle très peu ses émotions ; elle substitue des gens et des objets d’aujourd’hui dans des images vivantes du passé et montre peu d’intérêt aux règles de vie en société. Il y a plusieurs techniques en Validation qui aident la personne confuse dans le temps à restaurer sa dignité. Une pression douce sur la joue avec la paume de la main peut stimuler une relation à la mère ; la main avec les doigts en creux à l’arrière de la tête peut évoquer une relation au père ; la main avec les doigts en creux sur la nuque peut stimuler une relation à l’enfant.

Utiliser des mots "sentiments" courts, monosyllabiques pour aider l’individu confus à exprimer ses émotions.

Lier le comportement de la personne à des besoins humains fondamentaux qu’elle ne rencontre plus tels que : être aimé et être utile.

Quand les personnes confuses dans le temps ont des difficultés à s’expliquer clairement (mots inadéquats ou absents), utiliser un pronom vague qui se substitue alors au mot du dictionnaire manquant. C’est l’exemple d’une personne confuse qui criait : "Les dossiers sont tombés dans les flammes et retombent à petites gouttes", l’intervenant s’accorda à sa préoccupation et dit : "Sont-ils tous tombés ? Est-ce que quelque chose de terrible est arrivé ?" Le résident répondit : "Les chatons se sont noyés dans le puits". Même si la réponse était tout aussi incohérente, la colère ou la tristesse qui avait causé le déchaînement s’était dissipée.

La musique et les rythmes du passé sont aussi d’excellents moyens pour communiquer quand la parole est disparue. Utiliser de vieilles chansons familières, des mélodies religieuses, des rythmes et des rimes.


Le stade 3 : Le mouvement répétitif.


La parole a disparu et est remplacée par des mouvements et des sons répétitifs comme les gloussements, les bourdonnements, les gémissements, et les rimes. On peut utiliser les mêmes techniques que celles qui sont utilisées pour la confusion dans le temps, et tout spécialement le toucher et la musique. Refléter les mouvements de la très vieille personne confuse peut construire une relation de confiance. Si le résident se berce et marche à pas mesurés , le travailleur en Validation peut imiter le mouvement, tout en utilisant une voix nourricière et le contact visuel. Ceci peut prévenir le retrait du stade végétatif.


Le stade 4 : le stade végétatif


Il est très difficile de rejoindre quelqu’un qui est entré dans ce stade final. Pour ces individus, les mouvements perdent leur but, le contact visuel est faible, et le retrait à l’intérieur est complet. Les gens se stimulent eux-mêmes - ils se meuvent juste assez que pour rester en vie. On ne peut pas restaurer la destruction du fonctionnement intellectuel. Mais la Validation peut retarder le retrait dans la végétation, restaurer la dignité, et apporter joie et soulagement.


Depuis plus de 30 ans, des milliers de personnes (médecins, personnel soignant, assistant-es social-es, éducateurs-trices, familles, etc...) appliquent ces méthodes que ce soit avec un parent proche ou dans de maisons de repos et de soin. Beaucoup d’entrent eux témoignent d’un regain d’intérêt pour le travail. Ils se sentent plus motivés et plus efficaces. Ils ont moins recours aux médicaments pour calmer ou soulager la personne désorientée. Naomi Feil ne prétend pas que la Validation soit la seule voie pour aborder la démence sénile, elle donne simplement des pistes pour soulager la souffrance mentale de ces personnes et améliorer le contact avec celles-ci. C’est probablement cela qui en fait son succès.


Didier Barbieux Maîtrise en sociologie Directeur du Centre de formation Rhapsodie


Madame Naomi Feil est l’auteur de 2 livres parus en français aux éditions Pradel "Validation" et "Validation : Mode d’Emploi" et d’une vidéo sous-titrée en français "Communiquer avec des Personnes Agées de type Alzheimer".


"L’observatoire" Année de parution : 2000 N° revue : n°25

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